C’est au bord d’une route peu passante, au détour d’un virage en face de sa maison, que Prosper dit Jean (il n’aimait pas son prénom) rêvait de se constituer un jardin de rêve peuplé de statues.
Ce n’est qu’à sa retraite qu’il trouvera le temps de s’y atteler fin 1967. Oui, cela fait longtemps, très longtemps. Je crois que c’est l’un des plus anciens jardins que nous ayons visités à ce jour.
La réalisation de ce petit jardin verdoyant n’aura pris que 6 ans. Il aurait surement aimé y passer plus de temps, mais il n’a simplement pas pu. Il y avait urgence, Jean était malade, une grave maladie très invalidante, un cancer de la vessie.
Né en 1907, Jean décède en 1974, après avoir fini in extremis sa dernière statue.
Lorsque nous irons voir son jardin, cela fait 50 ans que Jean n’est plus là. Nous avons lu dans plusieurs articles que le jardin, en mauvais état était voué à disparaître (par Joel Ryczko en 1991 dans la revue Plein Chant, par Jean-Michel Chesné en 2010, par Bruno Montpied en 2017).
Il est toujours là, pas très vaillant, pas très entretenu mais toujours plus ou moins debout. Nous le verrons plus tard, les statues sont exceptionnellement solides.
En juillet 2024, nous ne savons pas ce que nous allons trouver, ou simplement si nous trouverons quelque chose.
D’un côté de la route, une maison est gardée par un gendarme en ciment, auquel Jean Gillis a donné ses propres traits. Nous savons que le jardin est de l’autre côté.
Elles sont toujours là, bancales, abimées. Les couleurs ont disparues, le lierre grimpe inexorablement. Quelques jours plus tôt nous avions visité le jardin de Gabriel Albert, restauré dans les règles de l’art, sauvé. C’est ce contraste immense qui nous a saisi devant les restes du petit jardin de Jean et une brutale envie de sauver tout ça.
Nous prenons quelques photos et remontons l’allée de la maison dont on sait que c’était celle de Jean (il l’avait écrit sur un des pilastres du portail). Nous frappons au carreau, un monsieur vient nous ouvrir, suivi d’une dame avec un pied dans le plâtre, et d’un mini chihuahua de 3 mois.
Otis (notre Jack Russel) sympathise avec la petite bête et nous entamons la conservation avec ses maîtres. ils sont la fille et le gendre de Jean. Ils nous parlent de Jean, de son désir de créer ce jardin, un désir plus fort que la maladie. Soutenu par ses proches qui lui amenaient les seaux de ciment sous la pergola, il façonnait ses sculptures assis.
Nous avons lu à plusieurs reprises que c’était dans une chaise longue au coin du feu… probablement les deux, hiver-été. au début il installait ses sculptures lui-même et puis ce ne fut plus possible, alors de sa terrasse, il indiquait où il fallait les placer.
Le site est constitué d’une partie plate assez étroite sur laquelle Jean avait bâti un bassin. Ses premières sculptures étaient des reproductions des personnages du manège enchanté. Vous savez, Pollux le chien, Ambroise l’escargot, le Père Pivoine… Il y avait même un manège en ciment. Aujourd’hui, seul Ambroise est encore là.
Puis il a commencé à modeler des animaux. Quelques uns sont encore là, autour autour du bassin: un singe, un faisan, un chat, une belette, …
L’autre partie du site est un talus au sommet duquel se trouvent un ours encore magnifique, les reste d’un tigre, un éléphant… Ils ont été amenés là avec une charrette tirée par des vaches…
Il y a aussi le général de Gaulle !
Sa fille nous explique que des sculptures ont été volées, que d’autres ont été dégradées par les voleurs, qu’elle regrette l’état du site mais qu’ils ne sont plus assez en forme pour débroussailler tout ça (en plus c’est sévèrement en pente !). Nous lui indiquons que si nous avions plus de jours et que nous étions sur place on le ferait, avec plaisir. On lui dit l’admiration que nous avons pour le travail de son père, la délicatesse de l’expression des animaux, de leur regard.
Madame B, après nous avoir livré ses souvenirs tout au long de cet après-midi d’été nous confiera trois sculptures de son père. Nous lui avons juré que nous allions les restaurer, avec soin, avec respect.
Nous sommes repartis avec: un petit écureuil porte-pipe (son père fumait la pipe) recouvert de lichen, avec le dos à moitié tombé, l’armature des bras et de la pipe à nu, un socle très dégradé; un faisan mal repeint au bec dégradé, aux pattes manquantes, un renard sans queue et tri-jambiste.
C’est avec le sentiment d’avoir une mission particulière et avec une immense fierté que nous avons ramené en Seine-et-Marne ces trois petits morceaux d’histoire. Ils sont aujourd’hui en cours de restauration comme nous l’avions promis. Vous pourrez suivre dans la rubrique « nos projets » les étapes de la restauration des « petits Gilis ».
Un lien particulier, à travers sa fille, nous lie désormais à Jean Gilis.
Références:
« Gillis l’Enchanteur » dans « Les excentriques du Pays au Bois » – Revue Plein Chant n°48 – 1991
« Le Manège enchanté de Gilis à Barras » – Revue Gazogène n°11-12 – 1995(?)
Articles sur le blog de Jean-Michel Chesné
Article sur le site du LAM
Article sur le blog « Fumélois: nature et patrimoine »
« Le gazouillis des éléphants » – Bruno Montpied – Editions du Sandre – 2017
1739 route d’Aiglon, Bonaguil, 47500 Saint-Front-sur-Lémance
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