Le Jardin Merveilleux de Bodan Litnianski

La biographie qui suit (en italique) et la photo ci-dessous sont extraites du site vivdim.com. Les autres photos ont été faites lors de notre passage en mai 2023.

Bodan Litnianski est né à Ternopol (Ukraine) en 1913. À 17 ans, il part tenter sa chance ailleurs et arrive dans la région de Laon. Là, dans ce nord de la France encore dans la reconstruction son apprentissage de cordonnier inutile, il trouve de l’embauche comme maçon. Il le restera jusqu’à sa retraite en 1975.

Même les années de guerre n’interrompront pas cette destinée à tenir la truelle. Fait prisonnier en 1941, il est envoyé en Allemagne dans le cadre du STO (Service du Travail Obligatoire). Il participera à la construction de plusieurs bunkers. L’un d’eux, à la frontière polonaise lui laissera, – disait-il en d’autres mots – le souvenir le plus douloureux de sa vie et celui d’avoir construit quelque chose de véritablement indestructible.

Libéré, de retour en France, à nouveau dans les décombres de villes à reconstruire il sillonnera la région de chantiers en chantiers, croisant sans le savoir ce qui serait sa future matière : ici une carrière aux moellons insolites, là les déchets d’une fonderie.

Sans véritables moyens, il se fait acquéreur d’une maison délabrée sur un terrain d’environ 570 m2, située rue Jean Jaurès à Viry-Noureuil.

Maçon la journée, maçon le soir il la restaure à l’aide d’un bon savoir faire et de matériaux de récupération. La famille bien à l’abri, Bodan ne s’arrête pas passant de restauration à la décoration.

En un premier temps, il commence de manière assez classique avec des coquillages, décorant encadrement de portes et de fenêtres. Puis ce sont les façades qui se recouvriront de coquillages collés sans créer de véritables motifs. La maison trouve ainsi son nom de maison coquillage. Une fois terminées les façades de la cour (d’une surface assez modeste) Bodan poursuit par le pignon (côté Est) et  par le muret extérieur qui y mène.

On retrouve ce type d’ornementation en coquillages au hasard des routes du département, mais aussi dans l’Oise où, aux alentours de Méru, ou la tabletterie (manufacture de boutons et objets en nacre) produisait nombres de déchets (restes de coquillages et coquilles non exploitables). Bodan étonnera le passant par la superficie ainsi habillée.
Une fois achevée cette étape, c’est un trou par lequel son chien s’échappait, dans le muret ouest, qui lui donne l’occasion de continuer son œuvre. Abandonnant les coquillages, et jugeant sans doute que la quantité nécessaire serait un frein à son projet, il récupère des matériaux d’origines minérales. Dans un premier temps moellons aux formes curieuses, pierres, cailloux, puis viennent s’ajouter, carrelages cassés (utilisés à champ), morceaux de faïence, scories…

Bodan agrandi sa zone de glanage, dirait Agnès Varda, et voyant la surface qui lui reste à habiller pour enclore complètement son terrain il s’autorise petit à petit l’utilisation de produits manufacturés. C’était déjà le cas avec le carrelage, mais on n’en voyait que la tranche et les tons restaient neutres. Avec la faïence cassée issue d’éviers, de toilettes… la récupération ne se cache plus, et les éclats de blanc qui parsèment petit à petit l’enceinte s’accompagnent vite du rouge de pots de fleurs cassé, du vert bouteille…

Petit à petit le plastique intègre la construction. Bodan le ramenant de ses tournées aux environs avec mobylette et carriole, mais le voisinage lui dépose également certains de ses rebuts.

Une fois l’enceinte terminée et ayant découvert que ce qui était au départ une besogne utilitaire s’était transformé en activité ludique et créative, Bodan investit les deux jardins.

Tout d’abord en bordant les allées de colonnes, puis en occupant les nouveaux espaces ainsi formés par d’autres colonnes ou constructions…

Maîtrisant parfaitement la technique du ciment et du béton, Bodan construit des colonnes de plus en plus hautes, les solidarise par des étagères elles aussi de béton armé habillé d’objets hétéroclites. Tous ces ouvrages de maçon se terminent, à l’instar des maisons nouvellement construites que l’on orne d’un bouquet de fleurs, par des bouquets d’objets divers mais aussi de fleurs en plastique qu’il prenait grand soin à confectionner.

On ne sait pas exactement quand Bodan a vraiment cessé de construire ses colonnes. Il n’était pas précis sur la question et donnait souvent des informations contradictoires sans jamais avancer de dates précises.

Les dernières années ont donc principalement été consacrées à l’entretien et à la restauration du site, mais surtout pour son grand plaisir à l’accueil de visiteurs de plus en plus nombreux chaque année.

Bodan est mort à l’hôpital de Chauny le 9 juin 2005. Il est enterré au cimetière de Viry-Noureuil, sa femme l’a suivi de peu.

Les Petits enfants de Bodan, seuls héritiers, ont mis la maison en vente en 2009, au prix de 60 000 € en espérant qu’un mécène amoureux du travail de leur grand père l’ouvrirait au public.

Hélas, en mai 2023, le site est cadenassé, la végétation reprend ses droits petit à petit, les colonnes (surtout celles qui sont peintes) commencent à s’écrouler….

C’est un endroit émouvant dont ne peut que regretter la disparition progressive et inéluctable comme tant d’autres sites de bâtisseurs de l’insolite. Ils demeurent le reflet d’une époque où tout semblait possible, ou la créativité se trouvait au détour d’un carrefour, bientôt il n’en restera plus rien et c’est infiniment triste.

Références:

Site des éditions Vivement Dimanche consacré à Bodan Litnianski, qui ont également édité un livre
Articles consacré au jardin sur Les Grigris de Sophie
Page dédiée sur Wikipedia
Article sur le site du LAM, Les Habitants Paysagistes

15 Rue Jean Jaurès, 02300 Viry-Noureuil

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