Les Hauts du Cordat

Véritable utopie ou authentique arnaque immobilière?

Ce sont trois barres d’immeubles de plus de 10 000 m2 qui semblent épouser le relief de la montagne. Autour il n’y a rien, rien qu’un petit village de moyenne montagne (de 550 à 1 160 m d’altitude) de 317 âmes au dernier recensement.

Comme si l’on avait parachuté 10% de Grigny la Grande Borne au milieu de nulle part. Alors forcément, c’est questionnant.

Il n’y a pas d’activité industrielle autour, pas de ville à proximité. En fouillant nous apprenons que l’ancienne mine d’uranium des Bois Noirs, située sur la commune, était le fleuron de l’industrie minière de l’uranium en France !

L’exploitation commence en 1960, après quelques années d’explorations. En 1960 est également construite, à 600 mètres de la mine, une usine chimique de traitement du minerai.

1960, c’est également l’année choisie pour aménager une station de ski sur la commune, La Loge des Gardes, située à…. 7 km de la mine d’uranium et de son usine chimique. Des vacances vertes fluo, en somme.

La création de l’ensemble minier, ultramoderne pour l’époque, bouleverse la vie de la population locale et génère une activité intense pendant près de 25 ans. La mine emploie 250 mineurs, plus de 260 employés divers et 32 cadres. Avec leurs familles, c’est un afflux massif et soudain d’environ 2 000 personnes qu’il faut loger et ravitailler.

On construits alors des HLM, des cités et de nombreuses villas: la cité Tardy avec sa rue des Mineurs (une quarantaine de maisons), La cité Brunet (6 maisons) et la démesurée cité Cordat (132 logements qui hébergeront 900 personnes) achevée en 1960.

Mais dès 1970, la conviction est faite que les réserves d’uranium s’épuisent et qu’il faudra arrêter l’exploitation dans les dix ans à venir. L’activité de l’usine est maintenue jusqu’au mois de juillet 1980, puis s’arrête. En 20 ans, l’usine de Saint-Priest aura traité 2 584 000 tonnes de minerai contenant 6 718 tonnes d’uranium..

Les logements se vident peu à peu à partir de 1978 et en 1982 il ne subsiste plus qu’une dizaine de ménages aux Cordats, pour la plupart des gens à la retraite ou au chômage.

Que faire alors de ces innombrables logements vides avec vue imprenable sur une agréable vallée ?

La région est touristique, Vichy n’est pas très loin, il y a une station de ski à proximité… ce sera donc une résidence de vacances. Bon, compte tenu de la typologie et de l’allure des logements, ce sera du “tourisme social”.

En 1982, 70 appartements ont été meublés et, à l’été, 90 touristes ont été hébergés. On propose à ces derniers des vacances vertes avec sentiers de grande randonnée, promenades à vélo, excursions en car, pêche, équitation, tennis, ski en hiver et visites à Vichy. Une piscine et un terrain de sport sont même construits. La Résidence du Cordat est née, gérée par l’association “Tourisme social promotion vacances”.

La Résidence du Cordat devient “maison” familiale de vacances agréée par la DDASS en 1990. Les maisons familiales de vacances sont des établissements sans but lucratif, à caractère social, familial et culturel, qui ont pour principale vocation l’accueil des familles pendant leurs vacances et leurs loisirs. Elles sont, en priorité, ouvertes aux familles ayant des revenus modestes.

Un gros effort de publicité est entrepris et des dépliants sont envoyés dans toute la France. Il est même envisagé d’y organiser des séminaires. 400 000 francs sont dépensés chaque année pour rénover et améliorer le “produit”.

En 1991, ce sont 90 appartements qui accueillent 400 personnes par semaine en juillet et en août. Une réussite commerciale indéniable si l’on fait abstraction du fait que 42 appartements restent inoccupés et que ça doit créer quand même une drôle d’ambiance.

Il faut également faire abstraction des 70 000 litres de fuel qui doivent être brûlés chaque hiver pour tenir hors gel l’énorme ensemble immobilier. Les frais de structure trop élevés hypothèquent l’avenir de la Résidence. Alors le propriétaire, une société de HLM, décide de faire une pause dans les investissements. C’est le début de la fin.

L’activité touristique s’arête définitivement en 2001.

En 2003 le Conseil général missionne, moyennant 45 000 € par an, un club d’investissement, le Club Ariège Pyrenées Investissements (CAPI), basée à Paris (!) pour faire venir des promoteurs et dynamiser le tourisme local. Le CAPI fait venir Alain Lapujade et son groupe de promotion immobilière Simbiosis.

Alain Lapujade achète le site des Cordats et entreprend de vendre en VEFA (Vente en Etat Futur d’Achèvement) des logements “haut de gamme” avec des prestations de “haut standing”, trois ou quatre terrains de tennis, un sauna, des salles de jeux, deux piscines…

“ Ils n’avaient rien demandé à personne. Et puis un jour, le téléphone a sonné. Un professionnel leur proposait de payer moins d’impôts, en toute légalité. C’était du solide, de l’investissement dans la pierre, encadré par l’Etat, bordé, fiable, sûr. On construit seulement où il y a des besoins. Vous achetez, vous louez, vous déclarez, le fisc déduit. Vous avez quelques sous de côté mais pas tout à fait assez? Aucun problème, la banque partenaire est là, c’est d’accord pour le prêt, même pas la peine de prendre rendez-vous. Inutile d’aller visiter la ville où se trouve l’appartement. Ce n’est pas un “achat coup de coeur”. Investissez, ne vous impliquer pas. Vous ne verrez jamais le locataire, le gestionnaire s’occupera de tout. Les loyers tomberont …/… et dans 10 ans vous êtres propriétaire. Sans efforts, sans y penser. Sans vous en être aperçu. Revente, plus-value. Un coup fumant. Et sans risques”.
Extrait du livre “Robien, Scellier… Ruinés. Le plus grand scandale immobilier de l’après-guerre”. Erwan Seznec.

Le projet des Hauts de Cordat est ainsi présenté, attrayant pour un public non avisé et surtout étranger à la région. Il se base sur le mécanisme de défiscalisation Demessine (secrétaire d’état chargée du tourisme). Ce régime fiscal instauré par la loi de finances 1999 avait pour but de favoriser les investissements locatifs dans certains territoires ruraux et de soutenir l’activité des zones rurales à potentiel touristique: zones vertes et montagnes.

Il permettait, en devenant propriétaire d’un bien immobilier neuf ou achevé avant 1989 et réhabilité, et en le louant nu pendant une période définie à un professionnel du tourisme (qui se chargeait de le meubler), de bénéficier d’avantages fiscaux impotants. Ainsi, l’investisseur décidant d’acquérir un logement, intégré à une résidence de tourisme ou un village résidentiel de tourisme, pouvait bénéficier de 25 % de réduction d’impôt pour les logements neufs ou de 20 % pour les travaux de rénovation. La réduction d’impôt était limitée à 50 000 euros pour une personne seule et 100 000 euros pour un couple. Les acquéreurs pouvaient, en outre, jouir du logement quelques semaines par an.

Les futurs acquéreurs des Hauts de Cordant croyaient ainsi réaliser, en plus d’une “bonne affaire”, leur rêve de résidence secondaire.

Le dispositif a pris fin le 31 décembre 2010, après que Philippe Marini, rapporteur UMP de la commission des finances au Sénat, ait pointé du doigt les dérives d’un “instrument de promotion commerciale et de pression des prix à la hausse” et le “comportement parfois frauduleux de certains opérateurs économiques”.

Les appartements des Hauts de Cordat sont ainsi vendus “en l’état futur d’achèvement” entre 2004 et 2008, les premiers logements devant être livrés en 2006. La caisse régionale du Crédit Agricole Lanquedoc et 35 autres banques prêtent aux dizaines d’investisseurs trouvés par Simbiosis. On fait croire aux futurs acquéreurs que le crédit serait intégralement compensé par les loyers et crédits d’impôts et qu’au bout de 12 ans de location, les appartements seraient rachetés par le promoteur avec une plus-value.

Pendant que les commerciaux prospectent et font signer des contrats pour 166 appartements, entre 90 000 et 170 000 € chaque, Alain Lapujade essaie de retaper, à moindre frais, les trois barres en béton.

Alain Lapujade a le vent en poupe, il lance plusieurs autres montages immobiliers en parallèle: Aulus-Les-Bains, Guzet-neige, Le Carla-Bayle, … et il a besoin d’argent.

Alors Simbiosis fait des faux certificats d’avancement des travaux pour permettre débloquer des fonds. Et c’est l’escalade.

Mais cela ne suffit pas, le groupe Simbiosis connait des difficultés financières. La SCI Le Cordat, chargée de l’opération, se place en liquidation judiciaire en 2010. La société d’ingenierie technique Simbiosis Properties est également liquidée le 19 avril 2010 ainsi qu’une foule de sociétés en cascade. Les copropriétaires n’obtiendront jamais les crédits d’impôt promis, ne pourront jamais louer les appartements inachevés et continueront de payer les mensualités des crédits contractés.

La situation ne se présente pas mieux pour les entreprises qui ne sont pas payées.

Des années de procédures s’engagent alors, opposant d’un côté les acquéreurs floués et de l’autre côté sociétés immobilières, notaires et architectes.

Alain Lapujade, qui meurt en 2012, ne verra pas la fin de ces dêmélés judiciaires.

De l’arnaque immobilère on ne peut plus douter, alors que reste t’il de l’utopie? Le rêve de reconversion d’anciennes barres HLM en résidences touristiques sociales partait sûrement d’un noble sentiment, même si passer d’une résidence principale sociale à une résidence sociale de vacances ne caractérise pas une volonté de favoriser la mixité sociale. Cet échec avéré aurait dû clore définitivement le devenir des Hauts du Cordat. C’était sans compter sur l’avidité de quelques uns et la crédulité de beaucoup d’autres.

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